mercredi 8 août 2012

AH...TU VERRAS, PETIT TAUREAU !

 On se demande souvent de quoi est faite une rencontre...J'ai eu l'occasion, en près de 30 ans de "carrière", de côtoyer quelques-uns de ceux qu'on appelle "les artistes"...Quand j'étais bien plus jeune et qu'une charmante demoiselle, avec de l'envie et de l'admiration dans la voix, me disait : "Oh, mais tu dois connaître beaucoup d'artistes !", je répondais immanquablement : " Quand je les vois beaucoup, c'est qu'il y a un problème, et puis ce n'est pas mon milieu...Au moins je les vois, au mieux je me porte !". Combien de fois ai-je rusé afin d'éviter le pensum du "repas d'après spectacle" où il est de bon ton de dire toute la soirée que untel est foooooormidaaaable, que tel autre est fantaaaaastiiiiique, et qu'une troisième est diviiiiiiine, puisqu'on a vécu grâce à eux des moments magiiiiiiques !

Mes pires souvenirs professionnels ont sans doute pour noms Cabrel, Clerc, Samson,Lama, Goya/Debout, et pourtant je peux dire que j'apprécie  le talent des quatre premiers !
Mais que de "cinéma", que de "caprices", que d'esprit "star" chez certains qui veulent donner l'impression qu'ils sont "normaux", comme dirait l'autre ! Quelle déception !!!

En revanche, il est des rencontres, quelquefois fort brèves, au cours desquelles des choses se passent...
Avec Marcel Amont, chez lui, à Saint-Cloud, avec Maxime Le Forestier à de nombreuses reprises autour d'une table, dans l'inconfort d'une loge-caravane au cours d'une fête populaire, avec Bertignac, Lalanne ou Philippe Lavil lors des fêtes du PCF à Sainte-Tulle (04) ou à Fabrégoules (13), avec Guy Bedos au Théâtre de Fos-sur-mer (13), avec Raymond Devos dans une voiture entre Marignane et Marseille ou lors de son 70ème anniversaire fêté sur scène, avec Palmade ou Duteil au Théâtre de l'Odéon de Marseille, avec Popeck à Miramas puis Marseille, avec Gainsbourg sur un terrain vague équipé d'un mauvais chapiteau, avec Lavilliers à Aubagne, avec Madame Barbara dans le cadre sublime du Château de l' Empéri à Salon de Provence !
Pourquoi une rencontre ? Pourquoi des moments sympathiques ou des moments forts ? Parce- que c'était eux, parce-que c'était moi, parce-que ces jours-là, les conditions s'y prêtaient...

L'un de mes meilleurs souvenirs restera toutefois Claude NOUGARO ! Celui qui fit un pied de nez magistral à Barclay qui ne le trouvait plus assez rentable et qui avec Nougayork, était Disque d' Or avec les pré-commandes des disquaires avant même la sortie de l'album !!!
Le capitalisme sauvage avait jugé que Claude n'était plus "un produit de marché" !

En 1991, l'homme qui a fait émerger "la mélodie par le mot et la parole par la note"  revient à une formule classique avec "Une voix, dix doigts" : un album et une tournée de 220 dates ! Il n'y a plus l'impressionnante armada musicale de Nougayork, il y a une voix, celle de Claude, et dix doigts, ceux de l'ami Maurice Vander sur son clavier ! 
Une soirée parmi ces 220 dates se déroule dans le Théâtre d' Aubagne (13), presque dans l'intimité (400 places) :
Claude, Maurice, un piano, deux poursuites, l'une sur la voix, l'autre sur les doigts !
Pour un organisateur, une soirée de rêve : des spectateurs conquis dès les premières notes, des comptes vite faits car la Mairie a acheté la date, pas de problème d'organisation puisqu'on est dans un lieu clos et équipé...il ne reste plus qu'à regarder le spectacle, chose rare !
J'avais rapidement croisé Claude à son arrivée (salut chaleureux mais discret), avant son entrée en scène (respect de la concentration)...Je le retrouve après le spectacle et il m'invite à entrer dans sa loge. Pourquoi ce soir là, alors qu'il devrait n'avoir que faire de mon avis, me demande-t-il : 
"Alors, comment tu as trouvé cela ?". Quelque peu surpris par l'interrogation, je ne peux que répondre spontanément, sans souci des convenances, en me plaçant davantage en tant que spectateur qu'en tant que professionnel et je lui réponds : " Au-delà des textes, des musiques, du plaisir d'entendre, j'ai été conquis par le dépouillement technique...la simplicité du concept, ces deux poursuites, cet unique instrument d'accompagnement, j'ai eu l'impression de vivre un concert classique !" . Et Claude rétorque, avec cette voix et cet accent que l'on n'a pas oubliés, avec des mots rythmés par sa voix comme il savait si bien le faire : 
"On m'a souvent dit dans ma vie que j'étais dé-con-certant, me voilà ce soir grâce à toi con-certant " ! 
 Malgré le grand sourire qui accompagnait la réplique, j'ai eu la crainte, face à cette réaction,  qu'il ait trouvé mon appréciation un peu niaise....
Avec sa grande sensibilité, Claude a perçu mon malaise. Alors, comme pour se rattraper, pour insister sur le côté amicalement taquin de sa réponse, il m'offre un moment unique qui m'habite toujours plus de 20 ans après : face à moi seul dans sa loge, vêtu d'un simple peignoir, il fait mine de m' "attaquer" à la manière d'un boxeur et chante "quatre boules de cuir" !!! 
Parce-que c'était lui, parce-que c'était moi, parce-que ce soir là....
Une anecdote à raconter un jour à ses petits-enfants ? Aux lecteurs d'un blog ? Les uns et les autres pourront trouver cela dérisoire...Pour moi, c'est inoubliable !




8 commentaires:

  1. Hello Bernard,

    Loin de trouver cela dérisoire, je trouve bien
    normal que ta rencontre avec un tel géant reste
    inoubliable !

    Patrick

    RépondreSupprimer
  2. bonjour,
    Effectivement, il ne faut pas confondre le talent artistique (ou autre d'ailleurs) et le comportement avec ses semblables. La réussite porte souvent à avoir une grosse tête... et les porte dans un autre monde, en général superficiel, égocentrique. Ce faisant ces grosses têtes oublient la réalité et souvent leur passé.
    Tous ou toutes n'ont pas toujours été en haut des affiches. Enfant j'ai vu de grands artistes actuels et passé (évidement ils ont 60 ans de plus) venir se produire dans des bars, comme le bar des Jasmins (en haut du chemin des Prud'hommes à St Loup où je suis né et habitais): j'y ai vu au début des années 50, Aznavour, Line Renaud, Annie Cordy et d'autres dont l'humoriste marseillais maintenant oublié et disparu Perchic.
    Coté classique, certains n'ont pas oublié leur parcours, comme G.Cziffra (peut être le plus grand pianiste du XXeme, Maurice André (professeur et concertiste trompétiste) qui ont créé des écoles, fondations pour aider les jeunes talents.

    RépondreSupprimer
  3. Salut Patrick,
    Tu es bien placé pour connaître toi aussi de tels moments, pour être toi-même un artiste et en même temps le compagnon d'une professionnelle qui a travaillé elle-même avec quasiment toutes les "vedettes", en tout cas bien plus que je n'ai pu en croiser moi-même.
    L'importance de l'événement que je relate est sans doute plus primordiale pour moi car j'ai été l'un des rares "professionnels" à n'être pas venu à ce métier par la voie artistique ! Cela m'a sans doute permis de conserver en même temps un certain détachement et des yeux d'enfant par rapport à des personnages ou des attitudes de ces gens singuliers que l'on appelle les "vedettes" ! Bonne soirée et merci pour ta lecture et ton commentaire !

    RépondreSupprimer
  4. Bonsoir René,
    Pour ce que j'ai pu observer pendant ces (presque)trois décennies, ces "vedettes" sont le plus souvent davantage victimes de leur entourage que de leur propre mégalomanie ! Une "cour" a pour mission de les "servir" et de les "protéger" et en fait des tonnes afin de conserver la place (qui est bonne !) et ses privilèges ! Il es résulte la transformation progressive de certains en enfants capricieux et versatiles, qui les rend bien désagréables dans le cadre de rapports superficiels et strictement professionnels, dans ce monde où tout est souvent "frime", artifices, où le "paraître" l'emporte presque toujours sur l' "être"...On retrouve moins cela dans le milieu du classique et du lyrique que dans la "variété": je me souviens m'être fait gentiment rabrouer par Barbara Hendricks après un concert à l' Opéra de Marseille, parce-que je lui disais que j' envoyais chercher un véhicule pour la conduire à son hôtel, à 300 mètres de là (l'actuel Mercure ex Beauveau) sous prétexte qu'il y avait des spectateurs qui stationnaient encore sur le parvis ! Elle est rentrée à pied avec le plaisir de saluer les gens et de discuter avec eux avant que nous allions souper au New York !!! Comme quoi, c'est bien l'entourage, y compris moi ;-)

    RépondreSupprimer
  5. Nougaro, jeté par Barclay pour manque de rentabilité, a fait la plus grosse vente de toute sa carrière avec Nougayork, premier disque après son licenciement...

    RépondreSupprimer
  6. Bonjour Partageux ! C'est ce que je note effectivement dans l'article : Nougayork était disque d'or avant même sa sortie dans les bacs ! C'est rassurant de constater de temps en temps que nous ne sommes pas "conformes" à ce que les "marchands" attendent de nous !

    RépondreSupprimer
  7. Hélène PERREIN9 août 2012 à 12:24

    Pour moi c'était l'année de mes 14 ans je suis allée le voir à la salle des fête de ma ville. et alors que nombres d'artistes ne faisaient plus d'entract lui il en fait un. viens le moment de la reprise bruit dans la salle les gens s'installent et soudain on entend les premier vers de "plume d'ange" et d'un coup d'un seul plus un bruit un silence attentif... jamais je n'ai ressenti une telle accuité chez les spectateurs dans une salle de spectacle si ce n'est qu'en j'ai vu Barbara au théâtre.
    un grand homme avec des textes d'une grande beauté

    RépondreSupprimer
  8. Merci, Hélène, pour ce témoignage sensible !

    RépondreSupprimer