Le livre pourrait s'intituler le cas Boris
On pense au "Je me souviens" de Georges Perec (qu’il appelle son "frère d’âme"). Mais dans sa version scientifique. Ce n’est pas une autobiographie classique. Encore moins une autofiction – avec ce que le genre suppose d’enjolivements pathétiques. Plutôt une autoétude, "objective" (oui, objective) et apaisée, et qui pourrait s’intituler "le Cas Boris". Ou encore "Décryptage" : un patient travail visant à exhumer le monde secret que l’enfant s’était aménagé, au plus profond de son âme, comme un refuge contre l’horreur du monde. Cette crypte familière, invisible aux autres, sur lequel l’adulte Cyrulnik s’était reconstruit, croyant lui aussi – les psys ne sont pas infaillibles – que pour en être quitte avec le malheur, il suffit de lui tourner le dos. Mais il y a des passés qui ne passent pas.C’est un livre sur le traumatisme. Sur la blessure et la guérison. Sur l’impossibilité de dire, dans un monde qui ne veut pas entendre. Sur l’indifférence qui tue et l’attachement qui sauve. Sur les illusions du souvenir. Sur ce phénomène étrange qui s’appelle la mémoire, qui n’est pas la reconstitution du passé mais sa représentation, et qui ne dit pas la vérité historique des faits mais une autre vérité, plus vraie encore : celle du sujet qui se souvient. Ce que nous avons fait de ce qu’on a fait de nous, comme disait Jean-Paul Sartre.
Tous les blessés de la vie – et qui ne l’est pas ? – trouveront là une inépuisable leçon de vie.
Et c’est en même temps le plus émouvant des romans vrais : l’incroyable et authentique histoire d’un petit garçon condamné à mort pour le seul crime d’être né. Privé de ses parents et de la possibilité même de leur dire adieu. Dénoncé, arrêté, évadé, traqué. Sauvé par une chaîne de héros anonymes qu’on n’appelait pas encore des Justes. Mais aussi ballotté de cachette en famille d’accueil, d’institution en orphelinat, où parfois, en toute ignorance et indifférence, on s’employait à bousiller ces blessés de l’âme que l’époque tenait pour irrémédiablement "foutus".
Boris Cyrulnik, après la guerre, au Gai Logis, à Villars-de-Lans, "sombre pension derrière l'église, où la simple désignation par un mot, "juif", m'avait obligé à rester debout, en arrière des autres enfants agenouillés, autorisés à prier, eux". (Olivier Metzger pour "le Nouvel Observateur") |
De l'enfant abîmé à l'adulte réussi...
Depuis trente ans, à travers une vingtaine d’ouvrages, liant recherche fondamentale et expérience clinique, Boris Cyrulnik n’a cessé d’explorer cette notion complexe de "résilience", inventée par la psychologue américaine Emmy Werner, qu’il a été le premier en France à développer et à vulgariser. Résilience ? La capacité de l’être humain, s’il est bien entouré, à reprendre un développement "sain" après avoir été en état d’agonie psychique. Ou comment, à quelles conditions, un enfant abîmé peut-il devenir un adulte réussi ? Ce prodige-là, l’humanité en est capable. Ce n’est pas le moindre mérite de Boris Cyrulnik que de nous le rappeler ici. Et c’est en quoi son histoire, tragiquement exceptionnelle, touche à l’universel.LE NOUVEL OBSERVATEUR
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