mardi 18 décembre 2012

ILLETTRISME ET SOUVENIRS !

Année 1964, ou 1965, ou même 66, que sais-je ? J'ai le souvenir précis de la scène, du contenu de la discussion, de sa conclusion, mais j'ai du mal à situer tout cela à une date précise...On sonne à la porte, un soir, alors que nous sommes à table ! C'est un "représentant", comme on disait à l'époque...Mais celui-là ne vend pas n'importe quoi : il offre la possibilité d'assurer un avenir brillant aux enfants de la classe ouvrière !
Il vend des "encyclopédies" ! Le nom à lui seul attire : c'est le SAVOIR, c'est la CONNAISSANCE, ce sont les RÉFÉRENCES...L'épaisseur des volumes, leur nombre, la reliure "luxe" donnent une idée de la richesse du contenu !!! Et les propos du vendeur consacrent l'intérêt évident de l'investissement : quelle jolie petite famille, maman, papa, la fillette et le petit garçon ! Ils sont sages, n'est-ce pas ?  Et ils travaillent bien à l'école ? Ah, le problème, c'est que vous n'allez pas pouvoir les "suivre" bien longtemps : l'histoire, la géographie, la littérature, les sciences, les découvertes et inventions ! Tiens un exemple: vous connaissez, vous, le nom de l'inventeur du paratonnerre ? Ben non, le fil à couper le beurre, c'est le fils du voisin, mais le paratonnerre ???
On parle d'autre chose, la pluie, le beau temps, l'avenir, l'avenir, l'avenir...Mais sans encyclopédie, quel pourrait être l'avenir de ces pauvres enfants ? On va leur demander de préparer des exposés, pour l'école ! Là-dedans, tout y est ! Et puis, c'est un peu cher, mais c'est si facile à acheter ! On signe un papier, et le "représentant" reviendra chaque mois pendant un an prendre quelques pièces et un ou deux billets...Et ça sert pendant des années, et ça fait riche dans la bibliothèque ! Rien n'est trop beau pour l'instruction des enfants de la classe ouvrière, on économisera sur autre chose, l'instruction, le savoir, c'est leur seule chance de devenir plus que nous ne sommes ! On s'endette pour acheter à Monsieur Universalis ses gros livres qui seront finalement si peu utilisés en regard de l'investissement !
Combien d'entre-nous peuvent-ils raconter pareille scène ! Combien d'entre-nous se souviennent-ils encore de l'odeur de ces livres neufs, du toucher de la reliure qui ressemble à du cuir ! Combien d'entre-nous regrettent-ils le temps où, même chez les moins riches, il y avait des livres dans toutes les maisons ?
C'était au temps où même dans nos rêves les plus fous n'existaient ni ordinateur, ni téléphone portable, ni tablette tactile, ni console de jeux, ni écran plat...Mais il y avait des livres ! On écrivait, aussi, car c'était le seul moyen de donner pour pas cher des nouvelles aux cousins du Gard ou à l'oncle de Savoie ! On lisait le journal, car on n'était pas abreuvé de nouvelles par BFM...On avait France Inter avec son "journal parlé"...Et les gens échangeaient entre voisins, la belle saison venue, sur le pas de la porte, en prenant le frais ! Le jeudi, il y avait plein d'activités : le curé organisait son "patronage" après le "catéchisme"...On n'était pas croyants, chez nous, mais on respectait le curé !!! L'instit  animait "les éclaireurs" ou les "francs et franches camarades". Je ne me souviens plus si on appelait déjà cela l' Éducation Populaire ?
Le dimanche, il y avait la messe pour certains, la vente de l' Huma pour d'autres, le marché pour tous, les compétitions sportives, les rendez-vous au stade, les petites randonnées en famille...Le samedi soir, autour de la table familiale, on se réunissait pour un jeu de société avec quelques biscuits et, quel luxe, une bouteille de limonade !
En pensant à tout cela, j'ai presque envie de présenter des excuses pour tant de nostalgie, pour un excès de ringardise, pour un texte d'ancien combattant !
Mais je réalise qu'alors que ce matin même j'entends parler de l' ILLETTRISME affolant, désolant, catastrophique à une époque où l'accès aux connaissances semble si facile avec internet et tout le reste, cette information me renvoie à ces souvenirs ! J'ai connu, comme bien d'autres, une époque où, même dans les familles les plus modestes, il y avait un "socle inébranlable de culture", où l’Éducation Populaire jouait à fond un rôle moteur dans la promotion sociale et intellectuelle, où les acteurs sociaux structuraient la vie des quartiers, des villages, des entreprises, des écoles, des loisirs de tous, ou presque...
Je lisais récemment sur un forum de discussion que la Suisse n'était pas en Europe, que la Guadeloupe appartenait à l' Océan Indien, la même personne écrivant "les recours SONT ÉTAIENT annulés", et plein d'autres joyeusetés du même acabit, en se flattant d’administrer
"un support médiaT qui fESSait le buz, oups !"
L' ILLETTRISME touche en France 3 millions 
de personnes !
Cofidis prête de l'argent à 17% de taux d'usure si vous achetez votre console NINTENSAGAWII chez CARRESINOCLERC  !!!

8 commentaires:

  1. Voilà les résultats du capitalisme qui rend les gens idiots pour mieux les enfumer. Hollande est le champion toute catégorie de l'enfumage de masse.

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  2. Bonjour à tout le monde, sans exclusive sur ce blog,

    Votre propos me ramène de nombreuses années en arrière. J'ai vécu ma jeunesse au sein d'un milieu pauvre, dans une maison qui était pratiquement un taudis (sans commodités ni eau potable à la pile) et malgré ce, mes parents ont tenu à ce que nous (les enfants)ayons une certaine éducation, dans le comportement et le savoir. Avec le recul, j'imagine que ce n'était certainement pas simple pour eux. Mais ils l'ont fait.

    Ma grand-mère née en 1887, travaillait déjà avant 10 ans en usine (soierie ardéchoise)mais elle se faisait un point d'honneur d'essayer d'écrire en français, avec peu de fautes contrairement à ce que l'on constate actuellement pas seulement sur des blogs.

    Ceci étant, quelles que soient les méthodes d'enseignement, elles étaient les mêmes pour tout un chacun. Comment alors expliquer ces écarts entre personnes pour en arriver à martyriser notre langue et arriver à de telle inculture? Du début du XXeme siècle aux années 60, on ne pouvait accuser la "déculturisation" de par la TV. A Saint Loup il y avait (et je crois toujours) une minorité arménienne aux Grands Pins. Nombre d'enfants fréquentaient mon école et travaillaient normalement
    Ces exemples montrent que le milieu social ni les origines n'expliquent pas tout. Il y surtout les comportements des parents qui veulent que leurs enfants "s'en sortent" et les poussent à avoir un minimum de savoir.

    A l'époque, cette nécessité d'acquisition de connaissances était un moyen pour viser à un travail le plus rémunérateur possible. Il y avait un but.

    Maintenant, surtout je pense depuis la fin des années 70, le modèle a explosé. . Pourquoi alors que l'on ne vit plus comme au début du siècle dernier? Nombre de parents ne jouent plus leur rôle d'éducation (tout ne doit pas reposer sur l'école), recherche de gains immédiats quel qu'en soit les moyens et conséquences, Même des études longues ne mènent qu'au chômage .. le but initial disparaît.
    La politique libérale n'est certainement pas étrangère à cette situation mais elle aussi n'explique pas tout.
    Je n'ai pas LA solution, mais c'est un constat.

    L'école primaire me paraît essentiel pour obtenir "ce socle inébranlable" et des activités annexes (pour moi ce fut la musique).
    Le métier d'enseignant est de plus en plus difficile dans ces conditions; conditions dont le non-soutien de parents.
    A ces difficultés s'ajoutent celle de l'organisation, quand des professeurs d'école ont 2 voir 3 niveaux de classe avec des élèves de moins en moins motivés... certains laissés à l'abandon par leurs géniteurs.... et ce n'est pas le niveau des salaires des instits qui peut être un attrait pour embrasser cette profession. Le comble est qu'ils doivent mettre la main à la poche pour préparer leur travail. Et pour quelle reconnaissance ? aucune.

    Dur ! dur! d'être enseignant

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  3. Les bars sont significatifs de l'évolution des choses. Il y a 40 ans, on passait devant un bar à 7h du matin et on voyait des bleus de travail, des casquettes et des travailleurs de l'usine ou du chantier d' à côté.
    Maintenant, il n'y a presque plus personne à 7h du matin, mais plutôt à 11h. Les travailleurs sont devenus des chomeurs, les jeunes se lèvent plus tard et le PMu prend les paris jusqu'à l'heure de la course.Les journaux ne sont plus lus, les discussions ne sont pas politiques, le niveau est donc différent. Essayez d'avoir une discussion intelligente avec un travailleur qui vient boire son café avant d'aller bosser, c'est possible. Avec un capitaine du port plein de pastis, c'est impossible lol

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  4. Adrienne Masson-Benoît19 décembre 2012 à 11:53

    bonjour tout le monde. Je lis ce blog tous les jours et je le trouve intéressant, mais je n'écris jamais car je manque de temps, d'envie ou d'idées. Exceptionnellement je voudrais dire à l'auteur de cet article qu'il pourrait être écrivain peut être. En tout cas moi j'adore cette manière d'écrire le récit d'une scène de son enfance. En plus je suis assez souvent d'accord avec les idées. Merci aussi à Maurice Brandi pour les éclairages qu'il apporte aux articles. Bonnes fêtes à tout le monde.

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  5. Merci à chacun d'entre vous pour son intervention...Je manque terriblement de temps pour répondre en ce moment ! Cela ira mieux en janvier ! Bonne journée à tous !

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  6. Merci Bernard pour ton récit ...véritable " madeleine de Proust" pour moi et probablement,pour beaucoup d'autres .
    L'illettrisme doit , me semble-t-il , être déclaré grande cause nationale; lutter contre l'illettrisme est un enjeu majeur pour tous les pays et doit faire partie du droit à l'éducation . Cette lutte doit être l'affaire de tous : familles , enseignants ,jeunes , monde professionnel...
    Pour lutter contre l'illettrisme , il faut tenter de lutter contre l'échec scolaire lié à de multiples facteurs : milieu social défavorisé mais aussi parcours scolaire perturbé , échec dans les apprentissages ( à cause , par exemple de dysléxie...) . C'est, à mon sens , la maîtrise de la langue qui conditionne le destin scolaire.
    Paradoxalement , on attend de l'école , qu'elle soit celle d'autrefois mais cependant , elle n'occupe plus la première place et est souvent contestée ; les parents , qui, pourtant, ne sont pas des pédagogues professionnels , se substituent parfois aux enseignants et ne font plus confiance à l'école . De plus , les rythmes scolaires doivent se plier aux rythmes sociaux ...ah! il ne faut , surtout pas toucher au sacro-saint week-end...des parents , quitte à surcharger la journée de l'écolier ou à supprimer des heures , par exemple ,en français ( dans les années 80 , en 6ème : 7h , aujourd'hui : 4h30 !!)
    Je passerai rapidement sur le développement des langages phonétiques, participant à une imparfaite maîtrise de la langue ("sabir" , mélange de langues , de dialectes , S.M.S , courriels..).L'oral est devenu plus important que l'écrit: plus de livres , plus de médias écrits...
    MAIS surtout et ce , quel que soit le milieu social , le désir de ceux qui sont en charge de l'éducation , l'instruction de l'enfant est primordial . Je me permets , ici , d'évoquer ma propre expérience , partagée par d'autres de ma génération : j'ai fait mon primaire , comme on dit , dans un petit village de montagne , dans les années 60 . J'habitais avec mes grands-parents illettrés , des paysans pauvres qui m'ont donné le désir d'apprendre , l'envie de "m'ouvrir les yeux" ( paroles souvent employées par ma grand-mère )..."toi , apprends , regarde nous , comme on est dans les ténêbres car on ne sait pas lire "...Mots fondateurs pour moi , mots qui m'ont donné des ailes et m'ont permis de réussir mon examen d'entrée en 6ème et d'accéder au lycée puis à l'université.Je suis toujours émue , en pensant à la fierté de ma grand-mère en apprenant que j'allais rentrer au lycée et à son écoute attentive lorsque je lui lisais mes livres !!...elle ponctuait mes phrases par "Oh! que c'est beau!!"...elle , l'illettrée , elle aimait les mots , les phrases , l'écriture , les livres ...et c'est de cette expérience que vient mon goùt pour les lettres, les livres ...la transmission de la langue , de la littérature ...Illettrisme et souvenirs!!

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  7. Bonjour Lucie, bonjour à tous.
    Illettrisme et souvenirs ! Souvenirs, souvenirs...Le jour de la soutenance de doctorat de mon neveu Tristan : mon père, endimanché comme rarement il le fut (mis à part pour présider un bureau de vote !!!), disait avec de l'émotion dans la voix, mêlée à de la fierté : "mon grand-père ne savait pas lire, mon petit-fils est docteur ! ". Il y avait dans ces propos toute la reconnaissance due au "progrès", à la République et à son "ascenseur social" autorisé par son école ! Où en est-on aujourd'hui ?

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  8. Bonne question :" où en est-on aujourd'hui ?"...où l'ascenseur social est en panne ( les chiffres de l' OCDE rappellent que "le niveau moyen des acquis scolaires stagne et , surtout , que les inégalités scolaires progressent" ) , où la République vacille ...et où tout concoure à faire du Peuple une masse d'individus consommateurs et aliénés .
    O.K , il faut faire fi de toute nostalgie mais lutter aujourd'hui pour demain n'empèche pas de de jeter un regard sur hier . Sans cultiver un passéisme de mauvais aloi , force est de constater que bon nombre de personnes de notre génération doivent "une fière chandelle " à ces hussards de la République qui surent nous donner notre chance . Les cours dispensés dans la plus petite école du plus petit village, n'avaient rien à envier à ceux donnés dans les meilleures écoles des grandes villes !
    Mais aujourd'hui, "selon que vous serez puissant ou misérable ", vous irez ou non dans les meilleurs établissements publiques ...ou privés , vous contournerez ou non , la carte scolaire .Pour certains parents la scolarité des enfants devient un véritable parcours du combattant ...mais un combattant possédant les armes du savoir , des relations et de l'argent gagne plus facilement la bataille que celui qui ne sait même pas que tout cela est possible ...
    Constat , certes , affligeant mais bien réel.
    Que faire ? ...une réelle volonté politique semble nécessaire et les petites "réformettes " ne suffisent pas . M. Peillon ne s'oriente-t-il pas un peu vers une réforme peau de chagrin ? Récemment il a prétendu qu'il faut de "la sérénité " pour réformer et qu'il avait décidé de "donner du temps au temps" ( j'ai l'impression d'avoir déjà entendu cette formule , et vous ?)

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